L'édition 2015 a été plus consensuelle, pas de scandale lié à telle ou telle exposition et la présence de Sodastream n'a fait hurler personne. Cela ne l'a pas empêchée d'être marquée par un défilé de protestation (nous sommes en France, hein !), celui organisé par les auteurs de BD et qui s'est déroulé avec la bienveillance du FIBD un samedi midi, principale journée du festival.

 

Les expositions

FIBD 2015L'exposition Calvin & Hobbes était une des vedettes du festival, à défaut de la présence de Bill Watterson, le président de la l'édition 2015. Elle était très réussie notamment grâce à sa mise en perspective dans l'histoire du strip américain. Le documentaire Stripped, projeté dans une petite salle centrale, était très intéressant.

Il est malheureusement impossible d'être aussi élogieux avec celle consacrée à Jiro Taniguchi. Ses nombreux défauts n'ont pas pu être compensés par la beauté des aquarelles de l'auteur. En effet son manque de cohérence, aussi bien chronologique qu'artistique, a débouché sur une scénographie décousue, cet aspect étant accentué par des textes assez peu nombreux et bien trop hagiographiques. Le pire était sans doute les nombreuses reprographies en N&B aux moirages peu professionnels. Pour l'exposition principale du festival, il s'agit d'un échec incontestable et bien regrettable.

FIBD 2015 À l'inverse, l'exposition consacrée à Alex Barbier, auteur radical dans ses choix artistiques et son propos, était une belle réussite. Petite (car située dans l'hôtel Saint-Simon) mais dense et bien organisée, elle permettait au visiteur curieux de découvrir un artiste ayant fait de la bande dessinée réalisée en couleurs directes contenant un propos cru et dérangeant, violence et sexualité étant des obsessions revenant souvent dans l'œuvre de l'auteur. Le clou de l'exposition était l'ensemble des planches rescapées de Lycaons brûlées lors d'un incendie criminel et exposées telles quelles.

L'exposition consacrée au scénariste à succès Fabien Nury, elle aussi intéressante, proposait aux festivaliers une bande dessinée plus grand public. La salle, petite d'apparence, était très profonde et, surtout, les textes étaient très nombreux. L'exposition revenait sur les séries Tyler Cross et Atar Gull réalisées avec Brüno, Il était une fois en France avec Sylvain Vallée, La Mort de Staline avec Thierry Robin, L'Or et le sang avec Merwann et Bedouel, puis Silas Corey avec Pierre Alary en passant brièvement sur XIII Mystery. Chaque série était présentée par des planches originales avec, à côté de chacune d'elles, un dialogue entre Fabrien Nury et son dessinateur.

FIBD 2015L'exposition Moomins était clairement la plus mignonne de toutes ! Le graphisme adorable donnait envie de repartir avec un mug Moomins. L'exposition brassait la carrière de Tove Jansson, que cela concerne les Moomins ou ses autres travaux : des illustrations pour Le Seigneur des anneaux, par exemple. La salle se composait de plusieurs petits univers, avec généralement des agrandissements d'illustrations de Moomins.

Situées aussi dans les chais dévolus à la Cité Internation de l'image et de la bande dessinée, les jeunes (et moins jeunes) visiteurs ont pu apprécier les expositions, courtes mais sympatiques et ludiques, avec celle consacrée à Jim Curious, à la 3D fascinante dans sa réalisation, ainsi que celle sur la série Anna et Froga.

 

FIBD 2015L'exposition Cosy & Kinky était très amusante. Plus qu'une exposition, il s'agissait d'une série d'animations permettant de s'immerger dans cette série flamande à l'humour décalé. Deux filles terribles, Kinky et Cosy, se chargeaient de laver le cerveau des participants en leur effaçant tout ce qui a été inculqué par l'éducation des parents et l'école, afin de mieux réussir dans la vie. La première étape était donc un véritable lavage de cerveau où l'on mettait sa tête dans une machine à laver. La seconde étape consistait à répondre à un questionnaire pour savoir si on avait bien été conditionné ! La troisième étape consistait en un jeu vidéo pour voir si on avait bien tout compris, avec une musique 8 bits restant en mémoire. Le tout se terminait dans un commissariat où l'on pouvait se faire prendre en photo comme si on était de véritables criminels. À la toute fin, un long couloir proposait des planches et des écrits présentants auteurs et œuvres... dommage que pratiquement personne ne s'y attardait.

L'exposition Les Démons du blues mettait en perspective les travaux de Mezzo, Crumb et Frantz Duchateau consacrés au blues. L'exposition consacrée à Charlie Hebdo avait été montée dans l'urgence dans l'enceinte du Musée de la bande dessinée. Elle brassait les débuts d'Hara-Kiri à l'actuel Charlie Hebdo, en passant par Charlie Mensuel. Différents pans de murs étaient consacrés à plusieurs auteurs, tels que Wolinski, Cabu, Tignous, Charb, Honoré et Willem. Celle consacrée à Jack Kirby était fournie en textes mais ne proposait que des reprographies. On y apprenait que DC et Marvel ont beaucoup profité du talent de l'auteur, sans que celui-ci en récolte de quoi vivre décemment. Enfin, n'oublions pas d'évoquer les sympathiques expositions consacrées aux 15 ans de l'éditeur indépendant L'employé du moi et au lianhuanhua édité par La Cerise, Au pays du cerf blanc de Li Zhiwu.

 

Les rencontres et conférences

FIBD 2015Comme il fallait le prévoir, c'était la cohue pour voir Jiro Taniguchi en Rencontre internationale. L'entretien, intéressant de bout en bout, était mené par Nicolas Finet et celui-ci s'est appuyé sur plusieurs titres tels que L'Homme qui marche, Furari, Le Journal de mon père et Le Sommet des dieux. Il en est ressorti l'impression que le pauvre auteur est très souvent enfermé dans son atelier, alors même que ses histoires se passent souvent dans les grands espaces.

Eiji Otsuka, lui, a semblé vouloir profiter de sa Rencontre internationale (qui n'avait malheureusement pas attiré la foule) pour trouver un éditeur européen pour certains travaux qu'il n'arrive pas à faire publier au Japon, car étant bien trop politiquement incorrects, voire tabous. Il prenait pour exemple Mishima Boy, un manga créé par l'un de ses élèves qui évoque les années 1960 au Japon. Mishima était en réalité un personnage très différent de ce qui est dit depuis de très nombreuses années. Otsuka a évoqué la censure du politiquement correct au Japon, où un consentement dans la société permet de parler de liberté quand il s'agit de petites culottes, de moe, et de corps dénudés, mais où des œuvres avec un discours politique fort ne peuvent exister ! La rencontre avec Junji Itô s'est aussi déroulée devant un public clairsemé. Les festivaliers ont ainsi pu apprendre que le mangaka avait été prothésiste dentaire avant de devenir l'auteur de bande dessinée connu internationalement qu'il est actuellement.

FIBD 2015La conférence sur l'adaptation graphique était animée par deux professionnels de l'adaptation graphique (notamment Eric Montesinos qui s'occupe de tous les Kana). Elle a su mettre en avant les difficultés rencontrées lorsqu'on cherche à adapter le sens de lecture afin de faciliter la lecture de l’œuvre aux lecteurs non familiarisés aux mangas restés dans le sens original. La conférence s'est appuyée sur de nombreux cas concrets d'adaptation des titres de Taniguchi dans la collection Écriture. Vincent Lefrançois, le conférencier principal qui vit au Japon, a su expliquer clairement ses contraintes, notamment vis-à-vis de Taniguchi qui supervise son travail. Ensuite, Vincent Petit, le responsable éditorial de la collection Écriture et Christel Hoolans, la responsable de Kana ont rejoints les deux animateurs pour parler un peu de leur métier, notamment en ce qui concerne le choix de l'adaptation graphique.

FIBD 2015Bernard Joubert, conférencier habituel et apprécié du Festival (il fait systématiquement salle comble) a proposé une conférence sur la censure des super héros en France. Avec un sens de l'humour très prononcé, il est revenu sur la loi d'après-guerre (1949) visant les publications destinées à la jeunesse et l'autocensure des éditeurs cherchant à éviter les problèmes. Il a rappelé, par exemple, que les planches étaient souvent redessinées, notamment en enlevant le masque, tant ce dernier entraîne le mensonge et crée un risque d'immoralité sur les enfants. Joubert est notamment revenu longuement sur les éditions Lug pour démontrer les résultats de l'autocensure avec des planches redessinées : monstres effacés, suppression d'onomatopées, ce qui donnait lieu à des non-sens. Les morceaux choisis de la commission pour décrire les comics de super héros auraient pu être hilarants si cela n'avait pas révélé la stupidité de ses membres.

 

Le pavillon Chine et Little Asia

FIBD 2015La Chine, ou plus exactement la ville de Canton, un des centres historiques de la bande dessinée chinoise, était à l’honneur avec un pavillon dédié. Celui-ci était divisé en trois espaces : un dédié à la présentation d’auteurs historiques et majeurs tels que Zhang Leping, He Youzhi, ou même Yao Feila. Un autre consistait en un espace de démonstration où les dessinateurs venaient faire une démonstration de leur talent. Parmi les auteurs invités, nous pouvions noter les noms de Nie Jun, mais aussi de Li Kunwu. Xia Da, l’auteure des excellents La Princesse Vagabonde et Little Yu était absente pour raison de santé alors qu’elle était annoncée de longue date. En effet, les deux œuvres précitées étaient un des fers de lance de la nouvelle collection Urban China lancée à cette occasion par Dargaud en partenariat avec Comics Fan, un des principaux éditeurs chinois de BD. Enfin, le troisième espace était un comptoir qui proposait de nombreux artbooks chinois, ainsi que cinq titres en avant-première de la collection Urban China.

FIBD 2015Little Asia avait une bulle pour elle toute seule, située dans la cour de l’Hôtel de ville. Excellente situation qui lui a permis de drainer un nombreux public. On n’y trouvait que des représentants des deux « autres Chines », c’est-à-dire Hong-Kong et Taïwan. La première était venue avec de nombreux auteurs, ce qui permettait de proposer de nombreuses animations comme des séances de dédicaces (malheureusement, peu d’auteurs avaient des titres traduits en français) et de démonstration de dessin. La seconde était venue présenter de nombreux auteurs par le biais de leurs livres (eux-mêmes n’étant pas présents). Le tout formait un espace plaisant à visiter une fois mais l’absence d'un espace et d’un programme d’animations digne de ce nom ne donnait pas envie d’y passer de nombreuses heures.

 

 

FIBD 2015